Performance et syncope
en Apnée sportive
Performance et syncope
en Apnée sportive
Hypothèse : Nous supposons que si le compétiteur peut utiliser moins d’oxygène pendant son apnée, il pourra augmenter la durée et la profondeur de son apnée avec moins de risque de faire une syncope hypoxique*.
Dans son interview, Guillaume Néry nous explique que la fréquence cardiaque diminue pendant l’apnée et qu’elle permet d’économiser l’oxygène. Nous allons essayer de comprendre pourquoi.
La bradycardie correspond à un ralentissement du rythme cardiaque qui passe sous le seuil des 60 battements par minute. Or, on sait que le sang transporte l’oxygène des poumons vers les organes demandeurs, donc un ralentissement du rythme cardiaque ne paraît pas, à première vue, être un avantage pour un sportif.
Nous avons donc souhaité vérifier la bradycardie par notre propre expérience :
Notre groupe de TPE a mesuré sa fréquence cardiaque avant, pendant et après une minute d’apnée à l’air libre.
Nous avons utilisé un appareil portable appelé « pulse oxymeter » qui fonctionne sur batterie, et qui permet de mesurer de façon simple, non-invasive et continue la saturation du sang en oxygène ainsi que la fréquence cardiaque au niveau d’un doigt.
Le pulse oxymeter est constitué de trois éléments :
-un capteur qui se compose d'une partie émettrice et d’une partie réceptrice (représenté sur le schéma)
- un moniteur qui enregistre et affiche les données
- un câble reliant le capteur au moniteur
Le principe de fonctionnement de cet appareil repose sur l’émission de deux lumières (rouge et infrarouge), respectivement de 660 et 940 nm, et de la mesure de leur absorption par le flux du sang. L’absorption de la lumière rouge et infrarouge sera variable selon qu’elle rencontrera de l’hémoglobine non oxygénée ou de l’hémoglobine oxygénée. Le résultat reflète la valeur de la saturation du sang artériel en oxygène.
Après avoir regroupé les données, nous avons fait les moyennes et nous avons obtenu ce tableau :
Analyse : Notre fréquence cardiaque diminue d’environ 11 % pendant l’apnée à l’air libre puis augmente après l’apnée pour revenir à la valeur initiale au bout d’une minute.
Notre groupe a réalisé la même expérience en piscine (donc en immersion) en maintenant un bras à l’extérieur pour garder l’appareil hors de l’eau.
Analyse : Nous remarquons que notre fréquence cardiaque diminue d’environ 24 % pendant l’apnée en immersion puis augmente après l’apnée pour revenir à la normale après une minute.
Comparons nos données avec celles des compétiteurs
Si nous comparons nos résultats avec ceux trouvés dans la bibliographie, on trouve que, sans immersion, le rythme cardiaque baisse d’environ 10% pouvant aller jusqu’à 20% pour les compétiteurs d’apnée.
En apnée avec immersion, la chute du rythme cardiaque est de 20 à 30% pouvant atteindre jusqu’à 50% chez certains champions d’apnée !
Si on examine la courbe ci-dessous, on constate que les experts en apnée présentent une bradycardie plus rapide que les novices et que la baisse de leur rythme cardiaque est très supérieure.
Cela prouve que l’entrainement spécifique à l’apnée permet une accentuation de ce paramètre et que l’économie des réserves en oxygène est plus précoce et plus intense chez le compétiteur expert.
Quelle est l’origine de cette bradycardie ?
Il est prouvé qu’il existe des capteurs faciaux ou récepteurs thermiques qui transmettent une information au nerf trijumeau puis au nerf vague responsable de la régulation cardiaque : cela provoque une bradycardie qui s’accompagne d’une vasoconstriction périphérique.
Ces capteurs sont particulièrement nombreux sur la zone péribuccale, et sont plus rares sur le pourtour des narines. Le port du masque n’est donc pas gênant pour les apnéistes, cependant certains préfèrent ne pas en porter pour ne pas diminuer la sensibilité de ces capteurs.
Par ailleurs, on a montré que le contact avec l’eau joue également un rôle, car, même avec de l’eau à température du corps, l’immersion de la face produit une bradycardie.
La bradycardie et la vasoconstriction périphérique sont donc plus importantes si la température est basse. Ainsi pour améliorer leurs performances, les plongeurs pourraient être tentés de ne pas se protéger suffisamment contre le froid.
Cependant, comme nous l’a expliqué Guillaume Néry, ils se mettent alors en danger d’accident d’hypothermie et la lutte contre l’hypothermie est consommatrice d’énergie donc d’oxygène. Le compétiteur doit donc trouver le bon compromis pour réaliser une performance.
La bradycardie s’accompagne d’une vasoconstriction périphérique qui correspond à la réduction du diamètre des vaisseaux sanguins. Ainsi ceux qui alimentent les jambes, les bras, le tube digestif, la peau, les muscles ou la rate voient leur diamètre réduit pour permettre un apport de sang normal au organes dit « nobles » comme le cerveau, le cœur, les poumons durant l’apnée. L’apport d’une quantité suffisante d’oxygène au cerveau sera donc maintenu grâce à ce phénomène. Cette adaptation représente donc aussi une protection contre le risque de syncope hypoxique*.
Mais comment réagit le système cardio-vasculaire quand la performance vise à atteindre la plus grande profondeur ?
Le corps du plongeur en apnée profonde est soumis à :
- la poussée d’Archimède qui atténue les effets de la pesanteur
- la pression qui augmente proportionnellement à la profondeur (un bar tous les 10 mètres environ)
Ces deux forces s’additionnent et créent un retour du sang, appelé Blood Shift, vers le haut du corps en particulier vers le thorax.
Pendant la descente, la pression augmente et le volume pulmonaire diminue jusqu’à devenir égal au volume résiduel*. (loi de Boyle-Mariotte)
A cette profondeur, la pression intra-thoracique devient négative par rapport à l’ambiance aquatique. Ce « vide » attire les viscères abdominaux et le sang présent dans les gros vaisseaux et capillaires pulmonaires.
Ainsi le vide thoracique est rempli et cela contribue à rigidifier les poumons. Ceci va permettre aux poumons de supporter des pressions encore plus importantes et par conséquent, l’apnéiste va pouvoir descendre plus profond.
Cependant il ne faut pas oublier que ces Blood Shift peuvent entraîner des anomalies graves du rythme cardiaque.
Ainsi nous venons de comprendre que le « diving reflex » qui comprend la bradycardie d’immersion, la vasoconstriction périphérique et le Blood Shift contribue à diminuer la consommation en oxygène du plongeur.
Mais le compétiteur peut-il vraiment modifier ce paramètre ?
Directement non car c’est un réflexe, mais indirectement oui car nous avons montré que le « diving reflex » augmente avec l’entraînement. Les plongeurs de compétition consomment donc beaucoup moins d’oxygène qu’un plongeur novice et peuvent prolonger leur apnée plus longtemps et plus profond avec moins de risque de syncope hypoxique*.
Le compétiteur a-t-il d’autres possibilités d’économiser l’oxygène :
Nous avons déjà évoqué la gestion des efforts musculaires qui vise à diminuer la production de CO2 et réduire la consommation d’oxygène. Mais il existe d’autres moyens :
Mieux maîtriser la compensation
Dans son interview, Guillaume Néry nous explique qu’il ne pratique pas la technique de compensation* classique ou Manœuvre de Valsalva qui consiste à se pincer le nez et à souffler progressivement bouche fermée pour équilibrer les pressions.
Il préfère la BTV ou Béance Tubaire Volontaire, qui contrairement à Valsalva, ne nécessite aucune aide des mains.
Essayons de comprendre ce choix:
Tout d’abord, la compensation* est un facteur primordial qui peut contribuer à l’échec d’une performance ou simplement à une dépense excessive d’énergie.
La technique de Valsalva entraine un effort mais diminue aussi le « diving reflex ». Cette technique ne favorise donc pas la diminution de la consommation en oxygène de l’apnéiste et n’est donc pas la meilleure à choisir.
De plus, nous avons appris que cette méthode est relativement traumatisante pour les tympans.
Au contraire, la technique utilisé par Guillaume Néry (BTV), entraine une meilleure souplesse des trompes d’Eustache grâce à l’entrainement. La béance tubaire volontaire est réalisée en reproduisant les mouvements provoqués par un bâillement, tout en conservant la mâchoire quasi-fermée.
Cela ce traduit par la stimulation de certains muscles permettant d'ouvrir les trompes d'Eustache. Cette manœuvre n’occasionne pas de consommation excessive d’oxygène mais nécessite une prise de conscience des muscles péristaphylins (muscle du pharynx) ainsi qu’un entrainement spécifique. C’est donc une technique réservée aux spécialistes car elle est difficile à enseigner et à acquérir.
Limiter le stress et favoriser la relaxation pour consommer moins d’oxygène
Guillaume Néry explique aussi qu’il utilise des techniques de préparation pour limiter le stress et favoriser la relaxation car cela permet de diminuer sa consommation en oxygène.
Quels bénéfices peut apporter la relaxation ?
C’est une partie importante de la préparation de l’apnéiste, notamment juste avant la tentative d’une performance. Elle prépare l’organisme à un effort maîtrisé. Le compétiteur doit obtenir le meilleur compromis entre sa dépense d’énergie (et donc sa consommation en oxygène) et les actes à accomplir pour obtenir une bonne performance.
Comment y parvenir ?
Les compétiteurs comme Guillaume Néry utilisent une technique de yoga appelée le Hatha-yoga qui comprend le « Prânâyâma » .
C’est une partie qui se concentre sur la respiration. En effet, les quatre phases de base de la respiration sont explorées : l'inspiration, la rétention poumons pleins, l'expiration et la rétention poumons vides.
Cette méthode permet d’améliorer la concentration en diminuant la dispersion mentale, ainsi l’apnéiste recherche à « faire le vide » pour se détendre au maximum.
Elle favorise aussi l'aptitude à supporter le stress par la prise de conscience du rythme irrégulier de la respiration en s’efforçant d’en ralentir le rythme.
Ainsi, le yoga permet de diminuer le stress et d’obtenir une bonne relaxation. Ces deux paramètres permettent d’obtenir une baisse de la consommation en oxygène ; ils diminuent donc le risque de syncope hypoxique.
Nous avons montré que le compétiteur peut diminuer sa consommation en oxygène grâce au « diving reflex » dont les effets sont plus marqués avec un entrainement spécifique à l’apnée.
Il peut aussi diminuer sa consommation en optimisant la gestion de ses efforts musculaires et sa technique de compensation*.
Enfin la préparation mentale occupe une grande place dans la réalisation d’une performance car elle lui permet de gérer le stress en favorisant la relaxation ce qui réduit nettement sa consommation en oxygène.
Toutes les techniques qui diminuent la consommation d’oxygène limitent le risque de syncope hypoxique*. Notre hypothèse est donc vérifiée.
Diminuer sa consommation en Oxygène