Performance et syncope
en Apnée sportive
Performance et syncope
en Apnée sportive
Modifier le taux de CO₂ dans le sang
On a vu dans la partie précédente qu’avec des pratiques spécifiques, il était possible pour l’apnéiste d’augmenter sa capacité en O2.
Néanmoins, en apnée, et dans le système respiratoire en général, le besoin de respirer est provoqué par l’augmentation du taux de CO2 dans le sang. Cette « envie » de ventiler va être à l’origine de la fin de la performance. Ainsi, même si l’augmentation de l’O2 va amener à une amélioration de la performance, et donc notamment du temps de plongée, le taux de CO2 en augmentant durant l’apnée va amener le plongeur à remonter. On en vient donc à poser notre hypothèse :
Si on peut diminuer la quantité de CO2 avant l’apnée, le seuil de rupture de l’apnée sera repoussé d’où une apnée plus longue.
Une question se pose alors :
Comment pourrions nous abaisser le taux de CO2 ?
Pour cela, il faut comprendre quelle est l’origine de l’augmentation de CO2 dans le sang lors de l’apnée.
Les organes et les muscles consomment l’oxygène amené par le sang, et produisent du dioxyde de carbone, et ce, d’autant plus que la personne fournit un effort important. En temps normal, le CO2 accumulé se retrouve évacué lors de l’expiration, et le cycle reprend son cours. Or dans le cas de l’apnée, le sportif préserve son air, et le taux de CO2 va en augmentant, jusqu’à atteindre une limite nommée seuil de rupture de l’apnée*. Comme on l’a dit, lorsque le taux de CO2 aura atteint ce stade, le plongeur ressentira le besoin de respirer, et remontera à la surface avant que son taux d’O2 atteigne le seuil de syncope.
Ainsi, étant donné que les muscles de l’apnéiste produisent du CO2, on suppose qu’en limitant les contractions musculaires, la courbe décrite par le CO2 atteindra sa limite plus tard, puisque la production de CO2 sera minimisée.
Dès lors, on peut se demander
Comment diminuer l’effort musculaire ?
Cette caractéristique n’intervient pas dans l’apnée statique, où l’apnéiste travaille principalement sur la relaxation.
Selon Guillaume Nery, en apnée dynamique, et en poids constant, la principale dépense d’énergie provient du palmage.
Les compétiteurs cherchent donc à économiser le maximum d’énergie, en optimisant leur palmage. Il peut être affiné par la technique afin de trouver le meilleur compromis entre dépense d’énergie et puissance produite. Ainsi, les apnéistes pratiquant le poids constant s’exercent aussi en piscine pour optimiser leurs déplacements. Ils cherchent à avoir un palmage ondulatoire, tout en préservant leur hydrodynamisme*.
L’hydrodynamisme* est travaillé afin d’essayer d’éviter les forces de frottements. Si on a un bon hydrodynamisme*, on pénètre mieux dans l’eau, donc on fait moins d’efforts, et par conséquent on produit moins de CO2. Ce facteur peut s’améliorer par la technique, notamment concernant la position des bras, de la tête, l’orientation du corps par rapport à la propulsion (etc.). Ainsi, leur propulsion et leur « glisse » dans l’eau doit s’effectuer de la manière la plus harmonieuse possible, tant en plongée dynamique, qu’en poids constant.
Le matériel joue aussi un rôle sur la performance.
Il y a d’un côté la palme utilisé. Certains utilisent des bi-palmes, plus longues et fines que celles utilisées en plongée bouteille, d’autres préféreront la monopalme. La monopalme permet d’avoir une excellente propulsion du fait de sa grande voilure. En revanche, elle est plus difficile d’utilisation, ce qui explique que peu de plongeurs l’utilisent.
Les plongeurs font également attention à leur combinaison, qui améliore leur hydrodynamisme*.
Guillaume Nery
Ainsi les apnéistes travaillent sur l’amélioration de leurs mouvements, et choisissent un équipement spécifique.
Cela leur permet d’abaisser la production de CO2 d’une façon optimale.
Y-a-t-il d’autres moyens de baisser ce taux de CO2 ?
On a remarqué que lorsqu’une personne respire un air enrichi en CO2, la fréquence et l’amplitude de sa ventilation augmente. Ce phénomène s’appelle l’hyperventilation naturelle. Elle permet au corps humain d’éliminer le surplus de CO2, afin de « purifier » le corps. L’hyperventilation abaisse donc fortement le taux de dioxyde de carbone dans le sang.
En théorie, ce mécanisme nous semble donc avantageux pour un apnéiste. En effet, en pratiquant une hyperventilation forcée avant son apnée, le compétiteur va abaisser le taux de CO2 avant de plonger, retardant ainsi la fin de sa performance car la courbe du CO2 atteindra plus tard le seuil de rupture de l’apnée*.
Cette technique est d’ailleurs utilisée depuis longtemps par les apnéistes.
Mais est-elle sans faille ?
Nous venons de voir qu’en utilisant l’hyperventilation avant l’apnée, les compétiteurs repoussent le seuil de rupture de l’apnée*. Mais la quantité d’O2 présente au départ n’est quasiment pas modifiée.
Alors que la durée de l’apnée se prolonge, l’oxygène continue d’être consommé par les cellules. Sa pression partielle atteint la limite du seuil syncopal avant que le taux de CO2 ait déclenché la rupture de l’apnée. Le déficit sanguin en O2 provoque alors une hypoxie cérébrale, qui entraîne une perte de connaissance : c’est la syncope, qui peut être mortelle si elle n’est pas détectée.
Ce genre de technique est donc fortement déconseillé par tous les spécialistes et la fédération d’apnée, puisqu’elle fait courir des risques importants au sportif sans bénéfices apparents.
Guillaume Néry nous a dit qu’il avait fait une syncope lors d’une compétition (voir video dans l’annexe) alors qu’il ne fait pas d’hyperventilation volontaire. Selon lui, l’hyperventilation peut aussi être réalisée de façon involontaire car elle peut être provoquée par le stress.
Les courbes que nous venons d’étudier concernent uniquement l’apnée statique, dans laquelle la pression n’intervient pas.
On peut alors se demander :
Les pressions partielles en CO2 et en O2 sont-elles modifiées lors d’une apnée en profondeur ?
Durant une plongée en profondeur, l’apnéiste est soumis à la pression atmosphérique (1 bar), qui augmente environ d’un bar tous les 10 mètres. Ainsi à moins 10 m de profondeur, la pression double (2 bars). Cette pression peut entraîner des problèmes tels que les barotraumatismes, qu’il est facile de contrer, mais agit aussi sur les pressions partielles en O2 et CO2. En effet, étant donné que la pression extérieure augmente, les pressions partielles en l’O2 et en CO2 augmentent également.
Schéma comparant les pressions partielles en O2 et en CO2 au cours d’une apnée en surface et à 10 mètres de profondeur.
En étudiant ces courbes, on remarque que l’accroissement de la PaO2 est plus marqué que la PaCO2.
Comment peut-on l’expliquer ?
Théoriquement, la PaCO2 et la PaO2 sont censées augmenter de manière proportionnelle. Or comme on peut le voir sur la courbe, l’augmentation de la PaCO2 apparaît fortement modérée. On en déduit qu’il existe des mécanismes qui permettent de stocker une partie du CO2 présent dans l’organisme durant l’apnée.
En effet, le CO2 dans le corps humain est présent sous deux formes :
Comme il est indiqué sur le schéma ci-dessus, la fraction combinée représente 90 % du CO2. Le CO2, en solution aqueuse, se combine à l’eau pour former un acide et un couple tampon.
10% du CO₂ est transporté sous forme dissoute dans le sang. Une partie reste sous cette forme, l’autre se fixe sur l’hémoglobine. Cela s’appelle la carbhémoglobine. Mais la majeure partie (+ de 80%) réagit avec l’eau pour former entres autres l’ion bicarbonate (HCO₃-), et de l’acide carbonique (H₂CO₃).
Les ions bicarbonates diffusent vers le plasma, le plasma circule dans tout le corps, et les ions bicarbonates vont être stockés à 80 % dans les os et les graisses. Il est ainsi possible de stocker 120 à 150 L de gaz carbonique plus ou moins rapidement.
Grâce à ce mécanisme, la PaCO2 se révèle bien plus faible réellement que théoriquement. Il a été prouvé que les apnéistes de haut niveau ont une capacité de stockage du CO2 plus importante que les novices notamment grâce à leur entraînement, ce qui contribue à augmenter la durée et la profondeur de leur plongée. Toutefois, ce phénomène n’est pas directement contrôlable par le plongeur.
MAIS ATTENTION : Comme nous l’avons montré pour l’hyperventilation, ce « stockage » du CO2 peut retarder le seuil de rupture de l’apnée*, s’avérant donc dangereux pour l’apnéiste.
Nous avons vu précédemment que c’est le taux de CO2 qui va provoquer la fin de l’apnée, cette valeur aura donc des conséquences sur la performance. Par ailleurs, Guillaume Nery nous a indiqué qu’il existait un entraînement spécifique à l’hypercapnie* pratiqué par tous les compétiteurs. Nous nous sommes alors demandé s’il était possible de mieux tolérer l’augmentation du CO2 dans notre corps.
Comment le corps humain détecte-t-il la variation du taux de CO2 ?
Il existe dans notre corps des cellules nerveuses appelées « chémorécepteurs »* qui sont sensibles aux stimulations chimiques. Les centres inspiratoires et expiratoires sont situés dans le bulbe rachidien. Or les ions H+ formés dans le cerveau à partir du CO2 sont le principal régulateur de la ventilation. Selon la réaction chimique vue précédemment, lorsque la PaCO2 augmente, la concentration des ions H+ augmente également.
Les chémorécepteurs* ne sont pas directement sensibles aux modifications de la PaCO2, mais réagissent lors de la modification de la concentration en ion H+ qui diffusent dans le liquide extracellulaire. Les chémorécepteurs* centraux situés près du bulbe rachidien stimulent alors les centres respiratoires, qui stimulent à leur tour le diaphragme et les muscles respiratoires*, mettant fin à la performance. L’augmentation de la PCO2 artérielle agit aussi sur les chémorécepteurs périphériques, mais de manière plus faible. Nous avons décrit ce mécanisme par le schéma suivant :
Ainsi, si l’on parvient à s’accoutumer à la force du signal qui indique au plongeur qu’il doit respirer, il sera possible de retarder la fin de la performance.
Les plongeurs travaillent donc régulièrement sur l’accoutumance à l’hypercapnie* : « Le principe de ces exercices est d’effectuer des apnées courtes, avec des temps de récupération très faibles et un effort musculaire important. La durée de l’effort doit avoisiner la demi-heure pour être efficace » (Eric Clua, spécialiste de l’Apnée).
Nous avons montré que le compétiteur peut améliorer sa performance en essayant de réguler la quantité de CO2 présente dans son organisme. Les entrainements à l’hypercapnie* lui permettent une meilleure tolérance au CO2 et augmentent ses capacités de stockage. De plus une bonne gestion de l’effort musculaire et de l’hydrodynamisme* entraînent une production inférieure de CO2.
Néanmoins, nous avons aussi prouvé que la technique de l’hyperventilation volontaire est à proscrire car le risque de syncope hypoxique* est très important.
Ainsi diminuer artificiellement le taux de CO2 ou entraîner son corps à mieux tolérer à la quantité de CO2 présente sont des techniques qui augmentent le risque de syncope hypoxique*.
Variation théorique et réelle de la Pression partielle de CO₂ (PaCO₂) en fonctien de la profondeur